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Carte Blanche • Jacques Bonnaffé

Reprendre le boulot, cette sensation. On voit bien qu’on ne peut pas tout à fait la partager. C’est pas un boulot ce qu’on fait, pas au sens qu’on souhaite en sortir ou qu’il s’arrête. C’est malgré tout du travail… L’équation est ambiguë.

Vous ne faites pas de pause entre midi et deux ? – Ah non, on est même surveillées, me dit la dame du ménage aux gestes minutés, il faut avoir fini à 15h30 sans faute. Je lui dirais bien qu’ici je ne suis pas en vacances non plus, c’est un peu l’usine (quel bonheur…) la Mousson, faut pas se fier aux tenues de plage. Elle voit bien qu’on est là pour not’ boulot, avec des horaires étalés, des personnes qui veillent aux repas et puis d’autres à la mise en place technique et une administration proactive pour l’ordinaire et pour l’imprévu. Bref on fait tourner un bazar qui nous fait bosser, avec des débats entre nous pour savoir si c’est  boulot-confort ou boulot-passion. On va croire que j’ironise, fort d’un billet sur la gestion des ressources humaines et les joies du rendement. Sans tenir compte de l’inquiétude qui nous réunit tous. D’ailleurs, faut-il en parler ? Redire l’état du monde ou sublimer, faire de notre activité d’auteur partagée une transposition (j’adore cette phrase incompréhensible, je la tournerais dans tous les sens si j’avais la place). 

Je travaille moi, Monsieur… Invective du livreur en  camionnette au cycliste qu’il a bloqué sur sa voie et sur laquelle certains vautours rhodaniens rêvent de fonder leur politique culturelle : l’opposition des camps. C’est tellement plus commode, comme si l’autre à vélo ne faisait que se promener, comme s’il n’y avait du travail que l’épreuve inexpiable, la gueule ou l’envie de se tirer. Marginaliser la création et les pratiques artistiques au bénéfice du pot pourri ruralité tradition, c’est enfoncer la France dans ses travers, ramasser des voix sans effort.

Un point de vue quand même Jac, puisqu’on vous laisse carte blanche ? Soyez inconséquent ! Si j’osais, je dirais haut et fort qu’il faut arrêter de faire pièce de tout, ce n’est pas parce qu’un roman ou un film nous a plu qu’on peut en faire un spectacle. Je trouve les critiques incolores ou par trop faibles face à ce grand chariot des adaptations loupées. Je ne dis pas qu’il faille monter des pièces d’auteurs, contemporaines absolument, mais il faut envisager leur existence. Je vois en elles des registres formels qu’aucun effets scéniques éprouvés ne peuvent égaler dans leur subtilité et leur nombre. Il faut au moins savoir qu’elles existent, ces écritures, s’étonner de ce renouvellement infatigable alors que l’offre est faiblarde en production. Cette contribution des auteurs permet d’écouter le monde autrement mieux qu’en faisant l’enquête à tous propos. Repartons un peu de ces colères sur le style, qui produisirent des plumes formidables. Et soyons méchants et justes.